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Dans la fosse au lion
Nkima n’était pas content. Son maître l’avait réveillé au plus profond de son sommeil. C’était déjà suffisamment scandaleux. Mais voici qu’à présent il l’entraînait dans une stupide errance en pleine nuit. Aux protestations de Nkima se mêlaient des gémissements de peur car, en chaque ombre, il voyait Sheeta, la panthère, et, en chaque branche tordue, Histah, le serpent. Tant que Tarzan était resté dans le voisinage du camp, Nkima ne s’était pas particulièrement troublé et quand il était revenu dans l’arbre avec son fardeau, le petit Manu s’était convaincu qu’on y demeurerait pour le reste de la nuit. Tout au contraire, on était parti aussitôt après et, maintenant, on se balançait dans les ténèbres de la forêt, avec une obstination confinant à l’idée fixe, sans la moindre considération pour le repos ni la sécurité du pauvre Nkima.
Alors que Zveri et sa troupe s’étaient engagés lentement par de sinueuses pistes forestières, Tarzan se déplaçait pratiquement en ligne droite vers sa destination, la même que celle de Zveri. En conséquence, avant que Zveri ait atteint l’escarpement presque vertical formant l’ultime et la plus imposante barrière naturelle à la vallée interdite d’Opar, Tarzan et Nkima avaient déjà disparu derrière le sommet. Ils parcouraient la vallée désolée au bout de laquelle se dessinaient vaguement les grandes murailles, les hautes flèches et les tours de l’antique Opar. À la lumière brillante du soleil africain, les dômes et les minarets brillaient d’un éclat rougeâtre ou doré par dessus la ville. L’homme-singe éprouvait la même impression que des années plus tôt, quand il avait contemplé pour la première fois le panorama splendide et mystérieux qui se présentait, une nouvelle fois, à ses yeux.
À cette distance, rien ne paraissait en ruine. Une fois de plus, Tarzan se représentait en imagination cette cité d’une beauté merveilleuse, quand ses rues et ses temples étaient pleins de monde ; une fois de plus, son esprit se tournait vers le mystère des origines de la ville, lorsque, aux temps les plus reculés de l’Antiquité, une race riche et puissante avait conçu et bâti ce qui n’était plus aujourd’hui que le témoignage persistant d’une civilisation disparue. On pouvait en effet penser qu’Opar existait déjà lorsque une civilisation glorieuse fleurissait sur le vaste continent de l’Atlantide qui, englouti par l’océan, avait laissé cette colonie perdue tomber en ruine et déchoir.
Que ses rares habitants fussent les descendants directs de ses constructeurs, cela était probable car ils pratiquaient les rites et les cérémonies de l’ancienne religion. D’ailleurs, on n’aurait guère pu expliquer autrement la présence de gens à la peau blanche dans ces espaces africains inaccessibles.
Les lois de l’hérédité, qui semblaient avoir joué à Opar plus que partout ailleurs dans le monde, y suggéraient une évolution différente de celle des autres peuples. Une particularité d’Opar est en effet que les hommes n’y ressemblent guère aux femmes, voire pas du tout. Les premiers sont de petite taille, trapus, velus, d’une conformation et d’une apparence rappelant celles des singes. Les femmes, en revanche, sont élancées, ont la peau lisse et souvent ne manquent pas de beauté. Certains des attributs physiques et mentaux des hommes laissaient supposer à Tarzan que peut-être, dans le passé, des colons s’étaient, par choix ou par nécessité, croisés avec les grands singes de la région. Il se disait aussi que la pénurie de victimes destinées aux sacrifices humains réclamés par leur rigoureuse liturgie leur avait fait prendre l’habitude de leur consacrer les hommes et les femmes trop considérablement éloignés des canons établis par le temps pour chaque sexe. Il en résultait qu’en vertu des lois de la sélection naturelle, l’écrasante majorité des hommes étaient grotesques, tandis que les femmes étaient normales et belles.
Tout en s’abandonnant à de telles rêveries, l’homme-singe s’enfonçait dans la vallée désolée d’Opar qui miroitait à la vive lumière du soleil, rarement atténuée par l’ombre d’un arbre tordu et rabougri. Devant lui, vers la droite, s’élevait la petite butte rocheuse au sommet de laquelle s’ouvrait l’issue extérieure des caves aux trésors d’Opar. Mais cela ne l’intéressait pas à présent, son unique souci étant d’avertir La de l’approche des envahisseurs, afin qu’elle se prépare à défendre la ville.
Il y avait longtemps que Tarzan ne s’était pas rendu à Opar. La dernière fois, il avait restauré l’autorité de La sur ses loyaux sujets et rétabli sa suprématie, après la défaite des forces de Cadj, le grand prêtre, mort sous les griffes et les crocs de Jad-bal-ja. Il en était reparti convaincu de l’amitié des gens d’Opar. Il savait, depuis des années, que La l’aimait en secret, mais elle abritait dans sa suite des personnages farouches et difformes qui avaient toujours craint et haï l’homme-singe. Toujours est-il qu’il s’approchait maintenant d’Opar comme d’une citadelle amie, sans se cacher ni douter qu’il serait bien reçu.
Nkima, pour sa part, en était moins sûr. Ces ruines lugubres le terrifiaient. Il protestait et se plaignait, mais en vain. À la fin, sa frayeur l’emporta sur son amitié et sa fidélité : alors qu’ils arrivaient au pied du rempart extérieur, qui les dominait de toute sa hauteur, il sauta de l’épaule de son maître et décampa. Il redoutait trop, en son petit cœur, les lieux étranges et inconnus, et même son entière confiance en Tarzan n’y pouvait rien.
Les yeux perçants de Nkima avaient remarqué la voûte rocheuse qu’ils avaient dépassée quelque temps auparavant. Il l’escalada et trouva au sommet un abri relatif, où attendre le retour de son maître.
En abordant l’étroite fissure qui constituait le seul accès à travers l’imposant rempart, Tarzan avait conscience, tout comme lors de sa première venue dans la ville, que des regards invisibles se posaient sur lui. Il s’attendait à entendre, d’un moment à l’autre, une salutation, du moins dès que ceux qui l’observaient l’auraient reconnu.
Dénué de toute appréhension, Tarzan entra donc sans hésiter dans la faille exiguë. Il descendit une volée de marches conduisant au passage sinueux qui traversait l’épaisseur de la muraille, mais l’espace au-delà duquel se dressait le mur intérieur resta désert et silencieux. Le silence ne fut pas non plus rompu lorsque l’homme-singe s’engagea dans la large avenue que flanquaient, de l’autre côté, les ruines branlantes du grand temple d’Opar.
Toujours seul et au milieu du plus profond silence, il pénétra sous l’inquiétant portail aux rangées de colonnes majestueuses. Depuis les chapiteaux, des oiseaux bizarres le contemplaient comme ils avaient contemplé tous les passants depuis les temps immémoriaux où des mains inconnues les avaient sculptés dans la pierre dure des monolithes. Tarzan poursuivit son chemin sans bruit, à travers le temple, jusqu’à la cour intérieure où il savait que se déroulaient les principales activités de la ville. Peut-être un autre homme aurait-il annoncé son arrivée en clamant des salutations ; mais Tarzan, seigneur des singes, était à bien des égards une bête plus qu’un homme. Il marchait à la manière furtive de la plupart des animaux, en ne gaspillant pas son souffle à discourir vainement. Il n’avait pas tenté d’entrer dans Opar à la dérobée, sachant que, de toute façon, il ne serait pas passé inaperçu. Il ignorait pour quelles raisons on tardait à l’accueillir, mais peut-être était-on allé avertir La et attendait-on les instructions de la reine.
Tarzan avançait dans le couloir central, en admirant une fois de plus les tablettes d’or chargées d’hiéroglyphes si anciens qu’on ne les déchiffrait plus depuis longtemps. Il traversa la salle aux sept piliers d’or, avança sur le parquet d’or d’une pièce adjacente. C’était toujours le silence et le désert, encore que, peut-être, de vagues silhouettes s’agitassent aux galeries dominant l’enfilade où il s’était engagé. Il arriva enfin devant une lourde porte au-delà de laquelle il était sûr de trouver enfin certains des prêtres ou prêtresses voués à ce grand temple du dieu flamboyant. Sans crainte, il poussa l’un des battants et franchit le seuil. À cet instant, une massue noueuse s’abattit sur sa tête et il tomba évanoui.
Aussitôt une vingtaine d’hommes tordus et bancals l’entourèrent. Leur barbe broussailleuse tombait bas sur leur poitrine velue. Ils se balançaient sur leurs courtes jambes arquées et poussaient des grognements gutturaux, tout en ligotant avec de solides lanières les poignets et les chevilles de leur victime. Puis ils la soulevèrent et la portèrent, le long de couloirs reliant les vestiges délabrés de ce qui avait été de somptueux appartements. Ils arrivèrent à une grande pièce dallée, au fond de laquelle une femme siégeait sur un trône massif, placé sur une estrade haute de quelques pieds.
Un homme, tout aussi difforme que les autres, se tenait près de la femme assise sur le trône. Il portait aux bras et aux jambes de larges anneaux d’or, ainsi que de nombreux colliers au cou. À leurs pieds, sur le sol de pierre, étaient assemblés des hommes et des femmes : les prêtres et les prêtresses du dieu flamboyant d’Opar.
Ceux qui portaient Tarzan s’avancèrent jusqu’à l’estrade et jetèrent son corps sur les dalles. L’homme-singe reprit conscience, ouvrit les yeux et regarda autour de lui.
— Est-ce lui ? demanda la femme du trône.
L’un des hommes qui venaient d’amener Tarzan vit qu’il recouvrait ses esprits et, avec l’aide des autres, l’obligea, avec rudesse, à se lever.
— C’est lui, Oah, s’exclama l’homme aux anneaux.
Une expression de haine venimeuse tordit le visage de la femme.
— Le dieu a été bon pour sa grande prêtresse, dit-elle.
J’ai prié pour que vienne ce jour, comme j’ai prié pour que l’autre vienne. Et, tout comme l’autre, celui-ci est venu.
Tarzan fit aller rapidement son regard de la femme à l’homme.
— Que signifie tout ceci, Dooth ? demanda-t-il. Où est La ? Où est votre grande prêtresse ?
La jeune femme se leva, furieuse.
— Sache, homme du monde extérieur, que je suis la grande prêtresse. Moi, Oah, je suis la grande prêtresse du dieu flamboyant.
Tarzan l’ignora.
— Où est La ? redemanda-t-il à Dooth.
Oah piqua une véritable crise de rage.
— Elle est morte ! hurla-t-elle.
Elle s’avança jusqu’au bord de l’estrade, comme si elle allait sauter sur Tarzan, les pierreries du manche de son couteau sacrificiel brillant à la lumière du soleil qui entrait par une vaste ouverture du plafond à demi effondré.
— Elle est morte ! répéta-t-elle. Morte, comme tu le seras quand nous honorerons une nouvelle fois le dieu flamboyant avec le sang vivant d’un homme. La était faible. Elle t’aimait, et c’est pourquoi elle a trahi son dieu, qui t’avait choisi pour le sacrifice. Mais Oah est forte, forte de la haine qu’elle a nourri dans son cœur quand Tarzan et La lui ont arraché le trône d’Opar. Emmenez-le ! Que je ne le voie plus avant de le retrouver attaché à l’autel, dans la cour des sacrifices.
On coupa les liens qui maintenaient les chevilles de Tarzan, afin qu’il puisse marcher. Mais les poignets restèrent liés derrière son dos car, de toute évidence, il inspirait toujours une grande peur. On lui entoura le cou et les bras de cordes, puis on le traîna comme on ferait avancer un lion indompté. On le conduisit dans les ténèbres qui lui étaient familières des souterrains d’Opar, en s’éclairant de torches. Quand on arriva finalement au cachot où l’on avait prévu de l’enfermer, on trouva le courage de lui libérer les poignets, mais seulement après lui avoir à nouveau, et solidement, entravé les chevilles. Cela leur laissa le temps de verrouiller la porte avant qu’il ait délié ses pieds pour s’élancer à leur poursuite. Tel était l’effet des exploits de Tarzan sur l’esprit de ces êtres malingres qu’étaient les prêtres d’Opar.
Tarzan avait déjà été enfermé dans les cachots d’Opar, et il s’en était échappé. Il se mit donc immédiatement à l’œuvre pour chercher le moyen de remédier à cette fâcheuse situation. Il se doutait en effet qu’Oah ne différerait pas longtemps le moment pour lequel elle avait tant prié : celui où elle plongerait le couteau du sacrifice dans sa poitrine. Il dénoua rapidement les liens qui lui attachaient les chevilles et s’avança prudemment, à tâtons, le long des murs de sa cellule. Il en fit le tour complet. Puis il examina de même le sol. Il découvrit ainsi qu’il se trouvait dans une pièce rectangulaire d’environ dix pieds de long sur huit de large et qu’en se soulevant sur la pointe des pieds il pouvait atteindre le plafond. L’unique ouverture était la porte par laquelle il était entré, dont le judas grillagé procurait à la cellule son unique ventilation ; cependant, comme cette ouverture donnait sur un corridor obscur, elle ne laissait passer aucune lumière. Tarzan examina la serrure et les gonds de la porte mais, comme il l’avait supposé, ils étaient trop robustes pour qu’il puisse les forcer. Il finit enfin par apercevoir un prêtre qui montait la garde, assis dans le couloir, ce qui mettait un point final à toute velléité de fuir sans se faire remarquer.
Des prêtres se relayèrent ainsi à intervalles réguliers pendant trois jours et trois nuits. Mais le matin du quatrième jour, Tarzan s’aperçut que le couloir était vide. Il se remit aussitôt à réfléchir à son évasion.
Le hasard avait voulu qu’au moment de sa capture, son couteau de chasse fût resté dissimulé par la queue de la peau de léopard constituant son pagne. Dans leur agitation, les sous-hommes ignorants qu’étaient les prêtres d’Opar l’avaient dépouillé de ses autres armes, mais avaient oublié celle-là. Tarzan se sentait doublement heureux de cette bonne fortune. D’abord pour des raisons sentimentales : il éprouvait un vif attachement pour le couteau de chasse de feu son père, ce couteau qui lui avait permis de prendre de l’ascendant sur les bêtes de la jungle au jour lointain où, plus par accident qu’intentionnellement, il l’avait plongé dans le cœur de Bolgani, le gorille. Ensuite pour des raisons pratiques : c’était en effet un cadeau des dieux, car il possédait là, non seulement une arme de combat, mais aussi un outil qui pourrait lui servir dans sa tentative de fuite.
Cela faisait des années que Tarzan, seigneur des singes, s’était évadé des souterrains d’Opar, mais il se souvenait parfaitement de la façon dont les murs en étaient construits. Des blocs de granit de différents calibres, taillés à la main pour s’emboîter à la perfection, étaient disposés en assises successives, sans mortier. Le mur qu’il avait traversé mesurait environ quinze pieds d’épaisseur. Il avait eu, cette fois-là, la chance d’être enfermé dans une cellule possédant une issue secrète, inconnue des actuels habitants d’Opar et obstruée seulement par quelques rangées de pierres mal appariées que l’homme-singe avait pu déplacer sans grand effort.
Bien entendu, il recherchait l’équivalent dans la cellule où il se trouvait à présent, mais ses investigations se révélèrent infructueuses. Il ne parvint à desceller aucune pierre, chacune étant maintenue en place par le poids formidable du temple que la muraille soutenait. Force lui fut donc de reprendre la porte en considération.
Il savait qu’on trouvait peu de serrures à Opar, parce que les habitants dégénérés de la ville qui n’avaient pas assez d’habileté pour réparer les anciennes, en avaient encore moins pour en fabriquer de nouvelles. Les serrures qu’il avait vues avaient des mécanismes imposants et étaient manœuvrées à l’aide d’énormes clés. Il estimait qu’elles devaient remonter au temps de l’Atlantide. Mais, dans la plupart des cas, de gros verrous et des barres servaient à bloquer les portes. Il supposa que c’était un de ces systèmes primitifs qui lui interdisait le chemin de la liberté.
À tâtons, il examina la petite ouverture aérant la pièce. Elle se découpait à peu près à hauteur d’épaule et devait avoir une dizaine de pouces carrés. Elle était munie de quatre barreaux de fer verticaux, d’un demi-pouce carré, distants d’un pouce et demi l’un de l’autre. Ils étaient donc trop proches pour qu’on pût glisser la main entre eux, mais cela ne découragea pas complètement l’homme-singe. Peut-être y avait-il un autre moyen.
Ses doigts d’acier se refermèrent sur le milieu d’un des barreaux. Il en saisit un autre de la main gauche et, levant un genou pour l’appuyer contre la porte, il fléchit lentement le coude droit. Roulant comme du métal en fusion, les muscles de son avant-bras et ses biceps se gonflèrent. Peu à peu, le barreau plia vers lui. L’homme-singe sourit et modifia sa prise. Puis il se porta en arrière de tout son poids et de toute la force de son bras. Le barreau prit la forme d’un large U et sauta hors de son logement. Tarzan essaya de passer le bras dans l’ouverture ainsi ménagée, mais elle était encore trop étroite. Un moment plus tard, un nouveau barreau de fer sautait et, cette fois, le bras engagé de l’autre côté dans toute sa longueur, il chercha la barre ou le verrou qui le maintenait prisonnier.
Mais il ne parvint qu’à toucher du bout des doigts le dessus d’une barre, qui était en fait une grosse planche d’environ trois pouces d’épaisseur. Mais Tarzan ne pouvait mesurer ses autres dimensions, ni juger s’il suffisait de la soulever ou s’il fallait la faire glisser dans des passants. Quel supplice ! Avoir la liberté à portée de la main et ne pouvoir l’atteindre, c’était à devenir fou !
Il retira la bras de l’ouverture, dégaina son couteau de chasse et, repassant la main à l’extérieur, enfonça la pointe de la lame dans le bois de la barre. Il essaya de la soulever ainsi, mais la pointe de son couteau se détacha du bois. Ensuite il tenta de déplacer la barre horizontalement, et cela lui réussit. Bien qu’il ne la fît glisser à chaque effort que d’une faible distance, il était satisfait, car il savait que sa patience serait récompensée. Un quart de pouce, parfois même un sixième de pouce à la fois, Tarzan faisait lentement reculer la grosse planche. Il travaillait méthodiquement et soigneusement, sans se presser, sans affecter la moindre angoisse ni la moindre nervosité, comme s’il ignorait qu’à tout moment un sauvage prêtre-guerrier d’Opar pouvait passer, faisant sa ronde. Il parvint enfin au bout de ses efforts et la porte tourna sur ses gonds.
Tarzan sortit d’un pas pressé, jeta la barre derrière lui et, ne connaissant aucune autre issue, s’engagea dans le couloir par où on l’avait amené. Il remarqua que, dans le lointain, l’obscurité se dissipait quelque peu. Comme la lumière augmentait lentement, il vit que le couloir avait environ dix pieds de large et qu’à intervalles réguliers il était percé de portes, toutes fermées et verrouillées ou barrées.
À une centaine de yards de sa cellule, il rencontra un couloir transversal. Au carrefour, il s’arrêta un instant, les narines, les yeux et les oreilles en éveil. La lumière ne se faisait plus vive dans aucune direction mais des bruits lointains l’avertirent que la vie se manifestait quelque part derrière les portes de ce nouveau couloir. Quant à son odorat, il fut envahi d’un mélange de senteurs où l’on discernait l’arôme douceâtre de l’encens, un fumet de corps humains et une âcre odeur de fauve. Mais il n’y avait rien là pour l’inciter à conduire ses recherches dans cette direction, aussi continua-t-il par le premier couloir, où maintenant la clarté augmentait rapidement.
Il n’avait pas parcouru une grande distance quand ses oreilles affûtées détectèrent l’approche d’un bruit de pas. Il n’avait pas intérêt à se faire repérer. Il recula donc lentement jusqu’au couloir transversal, dans le but de s’y cacher jusqu’à ce que le danger fût passé. Mais il se trouvait plus près qu’il ne croyait des nouveaux arrivants et, un instant plus tard, une dizaine de prêtres d’Opar se trouvèrent devant lui. Ils l’aperçurent aussitôt et s’arrêtèrent en scrutant la pénombre.
— C’est l’homme-singe, dit l’un d’eux. Il s’est échappé.
Ils s’avancèrent sur lui avec leurs massues noueuses et leurs couteaux recourbés.
Cependant ils marchaient lentement, ce qui montrait bien dans quel respect ils tenaient ses prouesses. Ils n’en approchaient pas moins. Tarzan opéra une retraite car, armé seulement d’un couteau, il n’était pas en mesure de tenir tête à six de ces sous-hommes à demi sauvages, forts de leurs gros gourdins. Tout en reculant, il échafaudait un plan et, quand il put atteindre le corridor transversal, il s’y engagea lentement, à reculons. Se sachant dès lors dissimulé aux yeux de ceux qui arrivaient en ralentissant d’autant plus le pas qu’ils craignaient qu’il leur tende une embuscade, il fit demi-tour et s’élança prestement dans le couloir. Il passa plusieurs portes ; non qu’il en cherchât une en particulier, mais il estimait que, plus les autres auraient de recherches à faire pour le retrouver, plus ses chances seraient grandes de s’esquiver. Il s’arrêta finalement devant une porte barrée d’un grosse poutre de bois. Il souleva rapidement celle-ci, poussa le battant et en franchit le seuil au moment même où le premier des prêtres se présentait à l’intersection des couloirs.
Au premier pas qu’il fit dans la pièce obscure, Tarzan comprit qu’il avait commis une erreur fatale. Il reçut à plein nez le remugle exhalé par Numa, le lion. Un rugissement sauvage rompit le silence de la cave, au fond de laquelle deux yeux jaune-vert flamboyèrent haineusement. Aussitôt le lion chargea.